Lieux mystérieux de Bretagne

Extrait :

Ille-et-Vilaine - Rochers sculptés de Rothéneuf, un abbé enlumineur de granit

À 5 kilomètres à l'est de la cité corsaire de Saint-Malo, le sentier du littoral épouse les anfractuosités de la côte : pointe de la Varde, plage du Val et juste avant la pointe de Rothéneuf, signalée par le calvaire Notre-Dame-des-Flots, les rochers sculptés apparaissent.

Une bruine fine enveloppe la côte et réduit la visibilité à quelques dizaines de mètres seulement. À flanc de falaise, malgré la morsure du vent, les embruns mêlés aux rafales de pluie, une silhouette sombre, un homme vêtu de noir, de forte corpulence et agenouillé, martèle, pitonne, excave la roche d'un pan de la falaise granitique. Il semble comme imperturbable au tumulte des éléments. Lorsque le vent porte, on parvient à entendre les coups sourds d'une masse, assénés avec force et précision, respectant un rythme quasi métronomique.

À y regarder plus attentivement, ce vêtement qui claque au vent est une soutane de prêtre. D'un mouvement brusque, il se relève, prend un peu de recul comme pour juger du travail accompli, la roche glissante semble se dérober sous ses pieds mal assurés à chacun de ses pas. Le visage, couvert de fines particules d'eau, est tendu sous les traits fatigués, mais l'expression profonde est radieuse. Le rideau de pluie se fait plus intense. La scène se dilue, s'estompe, disparaît. Le fantôme de l'abbé vient de passer...

Adolphe Fouré naît en 1839. Après des études au séminaire, il est ordonné prêtre à Rennes. Il mène une vie ordinaire de simple curé lorsqu'à la cinquantaine une attaque cérébrale le laisse en partie hémiplégique, et probablement sourd et muet. Cet accident bouleverse si profondément le destin de ce brave homme de Dieu, qu'il décide de se retirer en quelque sorte du monde des hommes pour vivre en ermite.

De se murer en lui-même pour mieux trouver la vérité divine... Il pose finalement son maigre havresac entre Saint-Malo et Cancale, sur une portion de côte exposée aux flots de la Manche, à l'entrée du havre de Rothéneuf. Il s'établit dans une baraque, s'autoproclame «ermite de la Haute-Folie» et commence à sculpter souches de bois, noeuds de racines, bois flotté. Les formes prolongent l'oeuvre de la nature. Oiseaux au long bec, saints de gloire, totems... prennent place dans «son» monde.

Poussé par la parole de Dieu, l'ermite ne tarde pas à entamer une oeuvre autrement plus ambitieuse, autrement plus démesurée : donner vie aux rochers de granit de la falaise de la Haute-Folie. À cet emplacement, il y aurait eu à l'origine une chapelle, ou un oratoire, dédié à saint Budoc, présupposé patron des pilleurs d'épaves. La légende du curé raconte même que c'est la découverte du tombeau de saint Budoc qui lui aurait donné l'envie de prendre, ici même, racine.

Armé de ses seuls outils - burins, ciseaux, marteaux - il veut réaliser, pour ses fidèles, une fresque édifiante dénonçant les forces du Mal, un cata­logue des vices humains. Pour mener à bien son dessein, l'abbé choisit de raconter l'histoire de la famille des Rothéneuf, corsaires et contrebandiers de père en fils qui écumèrent la côte à partir du XVIe siècle.

Pendant plus d'un quart de siècle, chaque jour, du matin jusqu'au soir, ce «fou de Dieu» va utiliser les moindres formes de la roche pour inventer, improviser son incroyable galerie de trois cents personnages, disposés en des scènes expressives sur près de 600 mètres carrés rocheux.

Entailler l'épiderme du granit exige une force physique et une endurance titanesques. En dépit de ses handicaps, Fouré les a, et décuplées même ! Les premiers personnages sortent de son imagination si singulière, si surprenante pour un homme d'Église. M. de Rothéneuf trône le premier dans la galerie de portraits. --Ce texte fait référence à une édition épuisée ou non disponible de ce titre.

Présentation de l'éditeur :

On dit que les Bretons ont le goût des mystères immémoriaux. Qu'ils tutoient volontiers le monde de l'occulte et côtoient, comme si la chose était naturelle, la figure effrayante de la mort, l'Ankou. On dit encore que la terre d'Armorique serait animée de courants telluriques extraordinaires, insufflant aux paysages une dimension magique, transfigurant la pierre d'apparence la plus banale en minéral sacré.

Et pourtant... Des lieux mystérieux, en Bretagne, il en existe tant à découvrir. Pourquoi le sont-ils ? A vous de tracer, de vivre, de rêver ou d'inventer vos propres chemins du mystère.

Biographie de l'auteur :

Dominique Roger est rédacteur en chef du magazine Détours en France. Lire, écrire, voyager, se laisser porter par les rencontres sont sa manière sérieuse et légère d'habiter la terre.

Journaliste et écrivain, il est l'auteur d'une vingtaine de livres, mêlant nouvelles, récits, beaux-livres, monographies régionales ou guides de voyage.

Il a déjà signé aux Editions Ouest-France quatre ouvrages.

Bruno Colliot est un photographe nomade. Son atelier se trouve en Inde, en Australie ou en Bretagne, partout où il y a des hommes. Ses frères sont aborigènes, tibétains ou cévenols. Son pays s'appelle le monde.